Petit manuel de survie à l’usage des rescapés d’Haïti, ou la Belle merveille de James Noël

Belle Merveille couverture
Couverture du roman Belle Merveille de James Noël

Le 12 janvier 2010, un séisme de magnitude 7 frappe Haïti. Voici l’histoire qui nous est contée par Bernard, survivant du séisme. Toute l’histoire ? Non. En réalité, la Belle merveille de James Noël ne raconte pas seulement comment le tremblement de terre a frappé l’île, mais elle témoigne également d’une explosion de la narration, seules des bribes restent, semblables à de courts poèmes en prose. Belle merveille revient sur les sept années de la vie de Bernard qui ont suivi le séisme, mais le récit n’est pas une simple description de l’action, le texte est morcelé, éparpillé, détruit, tout comme l’est Haïti.

« Le sol haïtien a tremblé… fa mi ré do… Le fond de l’air a tremblé. Les esprits vaudou ont tremblé. Le palais national est effondré. Le président a avalé sa langue. Seul le silence est grand en ce pays de carnaval et de montagnes enceintes par le viol des décibels. »

Une œuvre polyphonique

Belle merveille est le premier roman du poète haïtien James Noël. C’est un roman flash qui dépeint les souvenirs de Bernard avant, pendant et après le séisme. L’œuvre aborde plusieurs thématiques comme l’amour, mis en avant grâce au personnage d’Amore. Elle est une jeune femme d’origine italienne œuvrant pour une ONG, que Bernard a rencontrée peu de temps après la catastrophe et dont il est tombé amoureux. Amore est une figure forte dans l’œuvre, elle est en quelque sorte l’ange gardien qui écarte Bernard d’un chemin funeste.

La place des ONG est elle aussi abordée dans Belle merveille, place qui est par ailleurs fortement critiquée par Bernard. En effet, les ONG sont, selon ce dernier, trop présentes sans pour autant agir suffisamment pour aider les victimes du séisme.

« Chose curieuse, plusieurs ONG spécialisées dans différents secteurs étaient déjà au pays depuis longtemps. Le séisme a ouvert la porte à leur expansion extrême. ONG. Trois lettres qui sonnent comme trois coups sur la porte du malheur ».

Enfin, la vie et la mort jouent aussi un rôle, chacune des deux thématiques possède une représentation qui lui est propre : le deuil est symbolisé par Haïti elle-même. Rester au pays, c’est être condamné à mourir. À l’inverse, la vie est symbolisée par l’évasion et le voyage qu’entreprennent ensemble Amore et Bernard à Rome. Ce voyage, Amore le propose à Bernard afin qu’il puisse oublier ce drame et se reconstruire.

Objet Littéraire Non Identifié

Qui dit poète dit musicalité, allégories, légèreté et douceur. Cependant, James Noël écrit comme lui viennent les mots, le texte est tantôt rythmé, doux, rempli de sonorités et de poésie, tantôt rédigé avec un langage courant, cru, vulgaire. Cette dualité reflète en fait l’état d’esprit dans lequel se trouve Bernard. Il est incapable de penser normalement, pour lui tout se mélange et devient flou.

Cette idée du flou se retrouve aussi dans le texte par la structure anarchique des pensées de Bernard. Les idées s’enchaînent successivement, parfois sans même avoir de rapport les unes avec les autres, et c’est ce qui forme les différents temps du texte. Le texte est beau, poétique, parfois choquant, mais il reflète avec précision l’état d’esprit dans lequel se trouve un rescapé.

En réalité, la structure du texte s’apparente à de Petits poèmes en prose, séparés les uns des autres grâce à un titre entre crochets. Ces courtes sections du texte font penser à un texte complètement éclaté, donnant l’impression qu’un séisme a détruit le texte et l’a morcelé. Bien que les divisions en sections permettent une lecture fluide, il est difficile de faire le lien entre toutes ces parties, qui ne sont pas écrites dans un ordre chronologique.

James Noël
Crédits photographiques: Frances Cogattoni
Lire entre les lignes

Avec Belle merveille, l’auteur veut nous faire passer un message : celui de vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Ce roman s’inscrit dans la logique du carpe diem, et dicte à son lecteur d’adopter une attitude et une pensée optimiste pour surmonter les épreuves de la vie. Cependant, l’explosion du texte rend aussi compte de la difficulté de compréhension du monde qui nous entoure. Cet éparpillement surprend le lecteur et lui donne l’impression d’être perdu dans le texte, se demandant si tout ceci a un sens. C’est exactement cette impression qu’a voulu faire passer James Noël dans son roman : les doutes, la remise en cause de ce qui est sensé ou non, le désordre sont omniprésents dans l’œuvre et participent à la création de ce « grand bordel du siècle ».

Publié par Flora Cauet

Étudiante en première année de Master, je suis passionnée par la littérature. J'aime lire, donner mon avis sur mes lectures et suis aussi curieuse de découvrir de nouveaux horizons, qu'ils soient littéraires ou non.

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